LE CENTRE D’ART CONTEMPORAIN DE LA FERME DU BUISSON

joue
LE JOURNAL DE BORD
avec
Loreto Martínez Troncoso

Une exposition comme un espace d’écriture et comme un espace à écrire

Le Centre d’art contemporain de la Ferme du Buisson est engagé dans une politique d’exposition, de production et d’édition témoignant de son soutien actif à la création contemporaine. Entre octobre 2012 et janvier 2013, il a accueilli «Ent(r)e», une exposition personnelle de l’artiste Loreto Martínez Troncoso. «Entre» pourrait être le programme du centre d’art lui-même. Une invitation inscrite au fronton d’un lieu qui se veut ouvert à tous, au croisement entre public et artistes, entre diverses disciplines. Ce journal témoigne de la relation étroite et durable entre artiste et lieu, et de la manière dont l’un se nourrit de l’autre.

VENEZ !
C’est avant tout une invitation.
À partir du moment où on sort de (chez) soi,
c’est partager avec un autre quelque chose.
Passage du monde intérieur au monde extérieur…
Un se rendre disponible.
S’ouvrir…
Ouvrir.

Ouvrir les portes…
« Ouverture des portes 45 minutes avant »
« Horaires d’ouvertures et tarifs »
« De martes a domingo de 10:15 a 17:30 »
« Entrée libre »
« Entrée payante »
(si tu ne paies pas tu n’es libre ; si tu n’es pas libre tu paies)
Informations données dans les programmations : papier, web, radio…
Informations accompagnées d’« actualité », « archive », « futur », « activités parallèles », « informations », « équipe », « contact », …

Il y a aussi l’invitation par bouche à oreille
(en castellano : de boca a boca o de boca en boca).
On fait un boca a boca à quelqu’un pour lui rendre sa respiration.
On prend soin de quelqu’un.
On prend aussi la bouche de quelqu’un avec ou/et dans sa bouche pour l’embrasser.
L’aimer.

C’est une déclaration d’amour.
À l’autre.

ENTRE
(– tu as peur de rentrer ?)
VIENS

VEN!

 

Chèr-e-s lectrices, lecteurs,
Ces notes viennent de la pratique et non pas de la théorie.
Écrire/réfléchir à partir de la pratique, desde : depuis, después : après coup.

ENT(R)E
Titre du projet, de l’exposition (puisqu’il s’agit d’exposition)
Mais, qu’est-ce qu’une exposition ? (question que je me pose souvent, ayant une pratique principalement immatérielle et éphémère)
Et/ou quand est-ce qu’elle commence (question de titre… question d’annonce…)

Avec le « r » entre parenthèse, ça donne ente en castillan : ce qui est, existe ou peut exister.
(si on met entre parenthèse le « n » ça donnerait aussi « être » : en espagnol,  ser (exister), estar (être en un lieu, être dans un état quelconque)

C’est aussi une adresse, une invitation.
(à toi…)
À entrer dans un lieu, à rentrer dans un monde.
C’est un appel à la rencontre.
(entre toi et moi… entre toi et un autre… – que se passe-t-il ?)
Rencontre avec un lieu…
Qui n’est pas un lieu isolé. Qui est dans un paysage.
Rencontre aussi avec tout ce qu’on voit, on vit, on traverse pour en arriver là.

(…)

Mais, qu’est-ce qu’un lieu ? Un bâtiment ? Un ensemble de personnes ? Une économie ? Une histoire ? Dans quel contexte on travaille ? Non pas seulement physique, mais aussi politique, économique et social… Qui sont ses habitants et qui ne le sont pas ?

Ce cadre de travail, qui le donne, qui le met en place et comment jungler avec. Comment se l’approprier, le déplacer et/ou le transformer. L’élasticier ? Parce que si on ne le quitte pas, on travaille avec, à partir de. De là la question : d’où on parle ?

« J’aimerais explorer le monde souterrain. Partir à la recherche de ces lieux oubliés (…)
Je cartographierais ces endroits perdus, je percerais des trous dans les fondations,
avant de rejoindre la société à partir du monde souterrain ».
Et il continue :
« Il s’agirait de faire sortir l’art des galeries et de le conduire dans les égouts ».

[en 1970, Gordon Matta-Clark creuse un trou au 112 Green Street pour voir les fondations afin de libérer, par ce simple trou, les forces énormes, comprimés, emprisonnées du bâtiment : « Ça aurait était formidable de pouvoir passer librement sous une zone autrefois dominée par les lois de la gravité. »  (dans Gordon Matta-Clark, Entretiens, Edition Lutanie, 2011.)]

Considérer l’existant, considérer ce qui a existé, ce qui a eu lieu et qui est là, latent… Son histoire, sa configuration, ses transformations… Prendre conscience de la manière dont son architecture conditionne notre comportement. Par où on rentre, par où on passe et par où on sort et/ou on pourrait sortir ou on aimerait pouvoir sortir.

      –    appréhender l’espace, le rencontrer, travailler avec, à partir de (avec le temps que ceci implique, t’implique).  
      –    rendre visible des zones cachées (taper sur toutes les parois pour entendre s’il y a de l’air derrière ; photos du centre d’art avant les derniers travaux : deux salles communiquaient entre elles ; les sols n’étaient pas noirs… en arrivant sur place : le sol est recouvert de tapis de danse).    
      –    révéler des endroits cachés du regard des spectateurs et ouvrir des portes pour accéder à des endroits pas accessibles au public.
      –    créer des ouvertures où il n’y en a pas ou dévoiler des anciennes ouvertures aujourd’hui murées => pour une meilleure concentration ? perception ? recueillement, isolement –> perte de contact avec l’extérieur, la vie extérieure, de là où on vient, on est.
      –    (reprendre la lecture du Terrier de Kafka.)

Un mur, n’est pas seulement une surface sur laquelle on accroche, on vis(s)e quelque chose. C’est aussi une matière, une épaisseur, une couche…

– Mais pourquoi accrocher quelque chose sur un mur quand le mur lui-même est un matériau beaucoup plus stimulant ? (architecture comme organisme, donc vivant)

« Et nous sommes en enfer, et une part de nous est toujours en enfer,
murés que nous sommes…
dans le monde des mauvaises intentions. »
(…)
« Songe qu’un simple mot, un nom, suffit à ébranler les cloisons de ta force »
Pierre Reverdy, Risques et périls, 1930.

–> intervention de Michael Asher en 1973 à la galerie Teselli à Milan : il projette du sable contre les murs jusqu’à enlever toutes les couches de peinture jusqu’à arriver à l’« origine », eso sí, avec la trace (violente ?) de l’érosion du geste.

…un mur : une cavité, un habitacle – je pense souvent à los topos qui vivaient cachés derrière les murs et sous les sols pendant le franquisme.
…pas finalement quelque chose qui sépare, ou… malgré lui – je pense aux voisins qu’on entend dans la salle d’en haut ou d’en bas ou dans la chambre d’à côté.

–    introduire du mouvement dans une structure statique ; le dynamisme -> le faire apparaître (hanter)
–    des gestes plus contrôlés, plus délicats (poncer, décaper) et des gestes plus incontrôlés, plus bruts, plus agressifs (casser)
–    enlever, démonter, déconstruire… pour reconstruire ailleurs (?)
–    déplacer, bouger un mur comme on ouvre une porte ou fait tourner une page

Rentrer dans une exposition, ça ne serait pas assister, rentrer, vivre ce temps de lecture et d’écriture ?

(plus loin)

Je pense à une chambre.
Je pense à une maison.
Je pense à un lieu habité et à habiter.
Un lieu dans lequel on passe un certain temps…
(en tant qu’hôte et en tant que visiteur).
Je pense à la rencontre…
C’est un lieu de rencontre (avec un lieu, avec ceux qui l’habitent, ceux qui y travaillent, ce qui viennent souvent ou de temps en temps ou qui se retrouvent là, pour la première fois, par hasard…)

–> pièce Samson, 1985 de Chris Burden à la Henry Art Gallery, d’une « dimension monumentale » et qui est seulement une critique de l’institution ?

–    défier l’idée qu’on se fait des limites
–    (noté, plus loin : « la prison est à l’extérieur »)
–    (noté tout près : « Trop d’espace nous étouffe beaucoup plus que s’il n’y en avait pas assez » Supervielle, Jules –> parle aussi de : « vertige extérieur » et d’une « immensité intérieure » dans son livre Gravitations)

Question du spectateur, de son implication, participation, responsabilité ? – le mot « responsabilité » me dérange – prise de conscience ? (…) Sa participation. Sa mouille. Se mouiller. Devenir camarade, devenir complice. Nous ne sommes pas seul-e-s – ou… oui (?)  – ou la seule/le seul… à.

[+ faire une exposition, n’est-ce pas aussi un désir de s’approcher de l’autre ? De sa nécessité ? Mais quelle est ma disponibilité, ma virginité ? Mon envie de… m’oublier, me déséduquer, de désapprendre. De laisser mes valises à la porte et de me rendre disponible, de me laisser surprendre. (rencontres imprévues –> surprise –> coup de foudre) Borges dit « l’art arrive ». Et « pour moi, il a lieu comme ça : je sens d’un coup que quelque chose va avoir lieu et c’est à ce moment-là que mon âme, ma conscience est dans une attitude passive et j’attends. »
 
–    Vale, pero, qué pasa.
–    ¿Será el duende ?
–    …

+ où est l’émotion et d’où vient ce mépris de. d’en parler de. – « les mépris des émotions » (mépris – desprecio, méfiance – recelo, refus – rechazo) + la honte de pleurer, mais… seul-e-s ou accompagné-e-s ? – récit de Francisco, il était ému et son émotion s’est « tue » quand il a senti la présence d’un autre spectateur. Où est… Où est passée la chair ?

–> des pratiques comme celle de Michael Asher où il s’agit plus de perception, de sensation, que d’analyse (je pense à sa pièce, intervention, geste où il a créé, fait sentir un courant d’air dans l’espace.) Ou… un terremoto, un tremblement de terre.]

 (quelques temps plus tard)

L’exposition comme prise de parole (?)
Un geste est une parole.
N’importe quel geste est un acte.
Un acte de parole.
Parole qui fait acte.
Geste qui fait acte…
Question d’adresse.
(on s’adresse toujours à quelqu’un (?) ou, un geste ne vient pas de nulle part).
Nécessité d’un destinataire (?)
Une exposition comme espace d’écriture.
(l’espace comme feuille blanche)
Une exposition comme espace à écrire.
(par ce qui est proposé et aussi par la lecture, écriture du visiteur, de l’autre – écriture incomplète, écriture soliloque, sans l’autre).
Et aussi un espace écrit.
(qui a déjà été écrit par d’autres ; qui est habité par d’autres, voix)
Un passé, un présent et un futur (futur inconnu de nous ; « construction » future créée et rapportée par celui qui en fait l’expérience)
Une exposition comme rencontre.
Et quand rencontre il y a, un monde se déplie, s’ouvre, s’étend devant moi.

Ouvertures… sur un boca con boca.
Mais comment et à quel moment une rencontre se passe ?

–    Je sais pourquoi vous êtes entrés.
–    Pourquoi ?
–    Parce que quelque chose nous est arrivé.
–    Ça n’arrive pas comme ça. En un jour…
–    Il suffit parfois d’un instant. Je me disais cet après-midi que c’était comme un éclair de clarté. Qui nous saisit tout entier !

(à suivre)

 

Pour en savoir plus :
Centre d’art de la Ferme du Buisson
Loreto Martinez Troncoso