LA CHAPELLE SAINT-JACQUES

joue
L’ATTENTE
avec
Valérie Mréjen
François Deladerrière
Géraldine Lay

Topographie de l’indicible

La Chapelle Saint-Jacques, située au Sud-Ouest de Toulouse, est à mi-chemin entre le monde rural et l’urbain. De cet entre-deux naissent deux postures : observer et questionner. Les regards croisés de Valérie Mréjen, Géraldine Lay et François Deladerrière soulignent le lumineux et l’ardent, le souffle chaud, le froid cinglant. Leurs images et mots, posés sur des fragments de territoire, font la place belle à cet interstice où se logent doutes et interrogations. Le récit ainsi exposé trace les contours fragiles d’une attente propice à l’expérimentation. Le centre d’art vu comme une fiction au cœur d’une réalité, celle d’un territoire en mutation.

Entre 8 et 11

Il s’était hâté d’arriver en espérant que le technicien serait ponctuel et passerait tout au début du créneau horaire indiqué. Il lui semblait tout à fait opportun que, sur une liste de logements à visiter au cours de cette longue matinée d’automne, l’employé affecté ce matin-là au raccordement des compteurs électriques ait l’idée de commencer par son adresse. Si les choses se succédaient dans l’ordre qu’il avait prévu, il aurait le temps d’aller faire des courses de bricolage dès que le type remonterait dans sa voiture et commencerait à s’éloigner. Il comptait arriver à l’ouverture du magasin pour éviter l’attente, revenir avec ses achats et se mettre au travail. Il semblait nécessaire de faire quelques aménagements pour commencer à s’installer dans cet endroit qui n’avait plus été habité depuis quelques semaines. Cela faisait maintenant une demi-heure qu’il se trouvait sur place, le temps, se disait-il, que l’homme au volant de son véhicule ait pu traverser la petite forêt en suivant la route sinueuse dont le tracé évoquait le corps d’un serpent, et au moment de regarder sa montre il avait justement pensé à un endroit de la route, vers la fin du parcours, où l’on apercevait une scierie abandonnée : l’homme venait sans doute de la dépasser, et d’une minute à l’autre un bruit de pneus sur le gravier se ferait entendre. Un employé du fournisseur d’électricité de la région connaissait forcément tous les chemins et n’allait pas tarder à arriver.  
Dans l’entrée de l’appartement, entièrement vide aussi, il n’avait pas trouvé de clou où suspendre la clef et avait donc gardé le trousseau dans sa poche, ce qui renforçait encore l’impression d’être prêt à partir. Tout de suite après avoir franchi la porte, il s’était rendu compte que dans la précipitation de son départ il avait oublié d’emporter de quoi lire. Il sortit dans le jardin après avoir donné un ou deux coups de sonnette pour vérifier qu’on l’entendait suffisamment de l’extérieur. Il trouvait que pour si peu de temps ce n’était pas la peine d’ouvrir le parasol ni de s’installer sur la chaise. Il faut dire que le ciel n’incitait pas à se détendre, et sans le moindre document à consulter même distraitement, journal gratuit ou prospectus qui aurait pu traîner là depuis des mois pour colmater un trou, il ne pouvait même pas se livrer à cet exercice absurde qui consiste à étudier dans le détail des annonces commerciales ou des dépliants de menus à emporter, pour ne pas rester bras ballants. Devant le mur défraîchi, il se dit qu’il faudrait y passer un coup de peinture.  
Des enfants avaient dû se faire aider par les adultes pour fabriquer une cabane, mais les objets et les jouets qu’ils avaient disposés à l’intérieur pour mimer la vie domestique avaient disparu eux aussi, il ne restait plus de baigneurs délavés ou de seaux à demi remplis d’eau, aucune balle en mousse en partie rongée à malaxer ou à faire rebondir : il commençait à entrevoir l’idée qu’il lui faudrait peut-être patienter encore un peu, voire laisser s’écouler une partie de la matinée en repassant d’une pièce à l’autre pour constater que rien n’avait bougé, en contemplant avec une attention surdéveloppée les quelques indices laissés là par les précédents occupants. Il avait du mal à se représenter les fêtes qu’il avait dû y avoir ici et les soirées autour du feu, les groupes de personnes rassemblées, sans doute des amis, des parents, des collègues de travail. Quelqu’un que l’alcool avait réchauffé était reparti sans sa veste : elle était restée depuis suspendue loin des regards tandis que son propriétaire se demandait sans doute régulièrement, et cette pensée devait l’assaillir tout à coup comme une poussée de fièvre, où il avait bien pu l’abandonner. Seule la boule à facettes avait peut-être enregistré ce qu’il s’était passé et gardé en mémoire la vision de visages de plus en plus brillants de sueur, les regards enflammés et les derniers sursauts d’un petit groupe qui avait continué à danser en cercle fermé alors que la plupart des gens s’en allaient au fur et à mesure.
L’objet posé au sol semblait le regarder en se demandant s’il servirait encore, une fois qu’on aurait remis l’électricité. L’homme ne savait pas trop ce qu’il ferait de cette boule disco. Il l’aurait bien suspendue au plafond mais il connaissait déjà quelqu’un qui en avait une chez lui et il voyait déjà le petit sourire que cela susciterait lors des premières visites de leurs amis communs.
Mais que faisait ce technicien. C’était tout le temps la même chose. Ils indiquaient une tranche horaire et n’arrivaient qu’in extremis, lorsque les gens avaient perdu patience.  

Valerie Mréjen. Mai 2013

  • Géraldine Lay - Saint-Gaudens 2013 - courtesy Galerie le Réverbère, Lyon.
  • Géraldine Lay - Saint-Gaudens 2013 - courtesy Galerie le Réverbère, Lyon.
  • François Deladerrière - Saint-Gaudens 2013 - courtesy Galerie le Réverbère, Lyon.
  • François Deladerrière - Saint-Gaudens 2013 - courtesy Galerie le Réverbère, Lyon.
  • François Deladerrière - Saint-Gaudens 2013 - courtesy Galerie le Réverbère, Lyon.
  • François Deladerrière - Saint-Gaudens 2013 - courtesy Galerie le Réverbère, Lyon.
  • François Deladerrière - Saint-Gaudens 2013 - courtesy Galerie le Réverbère, Lyon.

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