LE PLATEAU / FRAC ÎLE-DE-FRANCE

joue
LA MOBILITÉ
avec
Hans-Walter Müller

Abitacollection

Le Plateau / Frac Île-de-France multiplie les projets expérimentaux où production et diffusion de la collection se rejoignent pour des propositions allant à la rencontre du public sur le territoire francilien. Abitacollection est une exposition itinérante conçue par Xavier Franceschi, directeur, avec Élodie Royer et Yoann Gourmel, commissaires invités pour la saison 2011-2012. Prenant place dans une bulle gonflable de l’architecte Hans-Walter Müller produite spécialement pour l'occasion, ce projet illustre la position d’un lieu qui se situe résolument à la croisée des chemins.

Depuis 2010, le Plateau / Frac Ile-de-France conçoit chaque année un projet de diffusion novateur, sous forme d’exposition itinérante, qui s’adresse à un public de proximité. La collection du Frac Île-de-France part ainsi sur les routes de la région au sein d’une structure mobile, à la rencontre des publics franciliens.

Pour Abitacollection, le Plateau / Frac Île-de-France a invité Hans-Walter Müller, pionnier dès les années 60 de « l’architecture en mouvement », à proposer l’un de ses fameux volumes gonflables pour accueillir une exposition d’œuvres de la collection. L’événement s’est déroulé en octobre 2012 sur plusieurs jours dans deux communes du département de la Seine-Saint-Denis. Le projet a été conçu par Xavier Franceschi en collaboration avec Élodie Royer et Yoann Gourmel, commissaires associés au Frac Île-de-France/ Le Plateau pour 2011-2013, à partir de la collection du Frac Île-de-France ainsi que celle du département de la Seine-Saint-Denis.

Avec Abitacollection, il s’agit de présenter des œuvres contemporaines dans un contexte non institutionnel. Le Plateau a fait le pari d’attirer des personnes de tous horizons et de lever les inhibitions du public  en créant les conditions favorables pour des discussions et des échanges avec les visiteurs autour des œuvres.
L’exposition prend pour point de départ le module gonflable, nomade et éphémère, réalisé par Hans-Walter Müller, à la fois œuvre d’art et espace à vivre.
Les œuvres reflètent l’intérêt d’artistes de nationalités et de générations différentes pour des questions liées à l’architecture, au design et plus globalement au fait d’habiter et de pratiquer un espace, qu’il soit public ou privé, réel ou fantasmé. Elles nous proposent une réflexion sur notre environnement immédiat et nos comportements d’utilisateurs et jouent d’un décalage entre usage et représentation, fonction et décor, dans un parcours envisagé comme un « paysage habitable  », selon l’expression d’Hans-Walter Müller.

Avec des oeuvres de Stanislas Amand, Michel Blazy, Véronique Joumard, Bertrand Lavier, Didier Marcel, Gordon Matta-Clark, Mathieu Mercier, Bruno Munari, Bill Owens, Bruno Persat, Philippe Ramette, Josef Robakowski, Vladimir Skoda, Ulrike Weizsäcker & Joanna Borderie

À Villepinte et Romainville, octobre 2012
En partenariat avec le Département de la Seine-Saint-Denis et les villes de Villepinte et Romainville
Avec le soutien de la fondation PSA Peugeot-Citroën et de la fondation EDF
© Julien Crépieux

 

Abitacollection, entretien avec Hans-Walter Müller le 30 août 2012

Yoann Gourmel : Vous êtes architecte et ingénieur, diplômé de l’école polytechnique de Darmstadt en 1961. Vous avez ensuite poursuivi vos études à Paris. Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?

Hans-Walter Müller : Dans les années 1960, je faisais partie des artistes cinétiques, qui expérimentaient la notion de mouvement dans l’œuvre d’art. C’était et cela reste toujours ma première préoccupation, tout en me définissant comme un architecte. Pour moi, l’architecture est le premier des arts. Je ne fais pas de distinction entre l’art et l’architecture, c’est un tout depuis toujours.

Élodie Royer : Depuis le début de votre travail tout est lié : l’art cinétique, la lumière, la projection d’images en mouvement et l’architecture pour accueillir ces projections. Pour revenir sur les origines de votre travail et de vos recherches, quel est le premier volume gonflable que vous ayez conçu ?

HWM : En 1967, j’ai participé à une exposition au Musée d’art moderne qui s’appelait « Lumière et mouvement ». A cette occasion, j’ai construit une salle dédiée à la projection d’images en mouvement à partir d’une machine cinétique que j’avais conçue. Cela faisait partie de mes préoccupations d’architecte de pouvoir tout voir en trois dimensions : ne pas regarder vers un mur pour tout voir de façon unidirectionnelle, mais un peu comme devant des fresques, être dans l’image. L’idée m’est venue de faire un ballon, de projeter dessus et de m’asseoir à l’intérieur pour voir les projections tout autour de moi et avoir conscience d’être dans la projection. C’est donc vraiment le début des gonflables.

YG : Pouvez-vous nous décrire le processus de conception des gonflables ?

HWM : Je travaille comme tout architecte avec un cahier des charges. Un théâtre par exemple va avoir besoin d’une certaine hauteur, d’être occulté à la lumière du jour, de comporter parfois des parties transparentes et bien d’autres paramètres. Le cahier des charges est le point de départ d’une réflexion qui va devenir quotidienne et se développer par le travail à travers différentes étapes, dessins, maquettes, outil informatique. Dans la pratique de mon travail il faut connaître la géométrie mais surtout en être toujours curieux.

ÉR : Pouvez-vous nous parler du choix des matériaux et des couleurs, du jeu que vous faites de l’opacité et de la transparence ?

HWM : Ça fait partie de mon travail d’architecte. Par exemple dans le volume que je suis en train de concevoir pour l’exposition Abitacollection, la lumière vient du bas. Cela a quelque chose de magique qui permet aussi de très bien voir les œuvres. En ce qui concerne les matériaux, il faut me considérer pratiquement comme un couturier, un couturier d’architecture. Si j’ai une commande, je pars en explorateur dans les usines à la recherche d’un tissu. Il faut de beaux tissus pour de belles robes ! Malheureusement, dans la gamme technique des tissus que j’utilise il n’existe pas beaucoup de couleurs. C’est toujours le blanc, le blanc, le blanc ! Mais moi j’aime la couleur et si je veux obtenir un tissu coloré de mon choix, je suis contraint de le faire fabriquer spécialement, ce qui n’est possible que pour l’achat d’une quantité très importante. Ainsi j’ai différentes périodes de couleur dans ma création. A l’image de la période bleue ou rose de Picasso, je vis en ce moment ma période jaune.

YG : Comment définissez-vous un gonflable ?

HWM : Je le définis par sa technique de construction. C’est une architecture faite de fluides. La base de la construction repose sur les principes de la mécanique des fluides, définie par Blaise Pascal. Dans cette architecture, il n’y a plus d’épaisseur. On crée une différence de pression entre intérieur et extérieur. Il y a à l’intérieur un peu plus de pression qu’à l’extérieur et cette légère surpression produit une tension dans la toile. Cette tension assure toute la résistance et la stabilité de cette construction. C’est ça l’essentiel. Dans une construction traditionnelle, il faut faire des fondations. Une construction gonflable n’a pas de fondation car elle n’est pas soumise à la loi de la gravité, au contraire elle aspire à s’élever vers le haut et il faut la retenir. Contrairement à ce que les gens pensent, un gonflable n’a pas besoin de beaucoup d’énergie. Il faut cependant un moteur électrique qui doit fonctionner en permanence même s’il ne consomme pas beaucoup d’énergie. Mais aujourd’hui, personne ne veut que quelque chose fonctionne en permanence. Sauf l’amour, entre parenthèses. Maintenant ce qui est encore plus fou et paradoxal – et Blaise Pascal précisément a révélé le paradoxe de la mécanique des fluides : les forces se démultiplient en fonction de la surface ; plus un gonflable est grand et moins il a besoin d’énergie. Cette explication que je vous fais là, ce n’est pas parce que je veux me défendre. C’est la réalité.

ÉR : C’est aussi un paradoxe pour un architecte de construire des bâtiments éphémères. Etait-ce aussi un parti-pris par rapport à l’architecture classique d’aller vers un type de construction modulable, éphémère ?

HWM : Oui, mais attention. Les gonflables sont souvent utilisés dans des situations éphémères, mais ils peuvent aussi être pérennes. Ils ont les deux facultés. D’un autre côté, je ne crois absolument pas que le gonflable va remplacer l’architecture traditionnelle. C’est un complément qui peut s’ajouter à l’architecture traditionnelle. C’est une architecture de notre temps sensationnelle qui peut plutôt souligner la construction du passé et inversement. D’ailleurs, je ne suis pas du tout un spécialiste des gonflables. Je suis d’abord un architecte qui utilise le gonflable. Un phénomène très intéressant en architecture est de réfléchir sur un mur qui monte au plafond et continue sans rupture. Dans les courbures, l’œil peut se promener sans être interrompu. Il peut ainsi aller le plus loin possible.

ÉR : Pouvez-vous nous parler du gonflable que vous avez conçu pour l’exposition ?

HWM : Ce qui est très important dans une exposition d’art, c’est qu’il y ait un contact entre l’intérieur et l’extérieur, une continuité. Sans se sentir pour autant à l’extérieur. Le plancher modulaire dans l’exposition ne touche ainsi pas du tout le gonflable, il est comme une île.

YG : Vous avez été prestidigitateur à l’âge de 14 ans et je me demandais quelle influence cela avait sur vos architectures ?

HWM : Oui bien sûr, l’apparition, la disparition. J’étais prestidigitateur quand j’étais étudiant et d’une manière professionnelle, j’étais sur scène tous les weekends. J’aime les choses qui ne sont presque pas possibles.