DÉSUNIR

Une performance de : mon corps, mon esprit, mes mouvements et mes mots



Mon corps, mon esprit, mes mouvements et mes mots performent en ce moment même au centre d’art Le Quartier.

Chacun de mes mouvements est situé dans une partie du corps distincte :
Un mouvement ondulatoire occupe tout le bras gauche.
Des cercles rapides se déplacent de haut en bas dans les épaules.
Des cercles horizontaux plus lents dansent dans mon genou droit plié.
Ma tête bouge librement et mes yeux regardent le public de manière fixe.

Mes mots aussi sont dans mon corps. De là, ils vous adressent un compte-rendu.

La performance se passe bien pendant quelque temps, mais mes mouvements se rebellent.

Mes mouvements voudraient s’émanciper du régime du corps. Chacun d’eux combat pour son indépendance. Ils veulent co-exister en tant que pluralité de mouvements différents. Mon corps y résiste en les fusionnant en un seul mouvement. Il veut de l’harmonie. Il refuse de faciliter plusieurs mouvements simultanément. Mon corps déteste la coordination. Les mouvements exigent la fragmentation. Aucun ne renonce, et aucun ne s’approche de la victoire.

Mon esprit se positionne du côté des mouvements. Il voyage dans mon corps et tente de se concentrer sur chacun des quatre mouvements en même temps. Malheureusement, sur le territoire de mon corps, même mon esprit ne peut faire ce qu’il souhaite. En prêtant attention à l’un des mouvements, il risque d’en oublier un autre.

Le combat qui se déroule dans mon corps est long et épuisant et mon esprit s’assoupit. Il quitte mon corps et s’installe dans le corps d’un homme assis dans le public.

Mon esprit voit la performance depuis la tête de l’homme. Il se rend compte que ce qu’il ressentait, à l’intérieur du corps, comme un champ de bataille, ressemble, de l’extérieur, à une chose inoffensive, informe, maladroite, flasque. Mon esprit part à la recherche d’une image qui pourrait aider mes mouvements à rester indépendants. Il quitte rapidement la tête de l’homme et revient dans ma propre tête. A l’intérieur, mon esprit trouve le souvenir du film « Dans la peau de John Malkovich ». Il imagine une armée de personnes âgées qui entrent à travers un portail dans ma tête, chacune prenant place dans différentes parties de mon corps.

L’image aide. Mon esprit est plus concentré, mon corps est fragmenté, mes mouvements sont déconnectés, mes mots s’adressent au public.

Lors de cette invasion, la hanche est également conquise. Cent personnes âgées dansent le disco à l’intérieur. Les mouvements de hanches sont encore plus rapides que ceux des épaules.

Un nouveau problème émerge : le mouvement de hanches perturbe les autres mouvements. Ils se mettent alors en compétition pour retenir l’attention de l’esprit. Ce n’est plus très clair, on ne sait plus qui combat qui.

Mon corps transpire et souffre. Mon esprit se demande quel sens donner à tout cela.

Mon esprit reconnaît qu’il veut faire l’amour et pas la guerre.
Il en a marre de combattre le corps. Il quitte de nouveau la performance et s’installe dans un ordinateur dans le bureau du centre d’art. Il entre dans le cyberespace, où les corps humains ne peuvent entrer. Mon esprit participe à une orgie avec des millions d’autres esprits à l’intérieur du réseau, et
n’a pas l’intention de revenir dans le monde réel.

Pendant ce temps, le combat dans le centre d’art continue.

L’absence de l’esprit se ressent dans chaque unité. C’est l’occasion pour le corps de prendre l’avantage, mais il est déjà trop faible pour l’emporter.

Mon corps est épuisé.
Il ve
ut se reposer mais est obligé de continuer.
En quête d’une solution pour
se sortir de cette situation, il se souvient d’une scène du film "Mulholland Drive" : une femme chante une chanson connue. Sa voix et son corps semblent totalement engagés dans le style passionné de la chanson. Avant la fin, le corps de la femme s’évade en s’effondrant sur le sol et sa bouche arrête de chanter mais sa voix, elle, continue de chanter.

Inspiré par ce souvenir, mon corps s’effondre sur le sol mais ses mouvements, eux, continuent de danser. Mon corps se lève, quitte la performance et rejoint le public.

Il semble que la guerre soit terminée et que toutes les unités soient dispersées. Mon corps est assis parmi d’autres corps dans le public. Mon esprit flotte quelque part dans l’éther. Mes mouvements sont toujours dans le centre d’art et performent. A ce point, il n’y a plus rien à raconter, le narrateur n’est plus nécessaire. Laissons à mes mouvements le mot de la fin.



Retour à l'interview

crédits


Concept : Adva Zakai
Webdesign : Chloe Gautier
Graphic design : Nuno Pinto da Cruz
Production : Le Quartier, centre d'art de Quimper
Relecture anglais : John Tittensor
Traduction de l'entretien en français : Matthieu Farcot